Alice Millais-Scott - I am a true romantic

J'ai un vague souvenir du nom de la rue (Poplar), d'un été et des voisins. J'avais les genoux recouverts de pansements, les mains enfoncées dans le bac à sable, le regard fixe. La fenêtre-télé de l'autre côté du jardin semblait figée sur une chaine pour les grands. C’était tous les jours le même film, la même actrice, mais les acteurs se succédaient. Elle ne gardait jamais le même homme entre ses crocs plus d’une journée. Ils pourrissaient, il fallait bien qu’elle renouvèle régulièrement son garde-manger. J'avais développé un certain goût à regarder ce qu'il se passait derrière cette fenêtre. Maman me laissait jouer dehors, j'y restais aussi longtemps que je voulais, les yeux scotchés à la vitre quelques mètres plus loin, mes mains agrippant le sable qui roulait sous mes doigts. Maman était très jolie, j'étais joli aussi et je comptais me servir de ça pour que la voisine tombe amoureuse de moi.

Je me souviens que j'aimais bien grimper dans les arbres verts pour ensuite me laisser tomber. J'allais cueillir des pommes rouges pour les déguster plus tard dans le sable, les yeux collés à la fenêtre de la voisine, quelques grains grinçant sur mes dents. Maman me grondait à chaque fois qu'elle m'apercevait sur le haut d'une branche, mais moi j'essayais juste de m'envoler. Parce que maman m'avait toujours comparé à un ange et que j'avais fini par la croire. Une fois, j'avais cru voir des ailes pousser sur mon dos, mais c'était la voisine qui m'avait rattrapé au vol. Elle avait les lèvres rouge cerise et la robe un peu courte. On avait couru main dans la main jusque derrière sa fenêtre. Là : elle avait enfoncé ses crocs dans mon cou, moi j'avais déposé des pétales rouges sur le lit, parce que j'étais un vrai romantique.

Ça s'est terminé vite, je pourrissais déjà dans ses yeux et ses lèvres rouge cerise avaient déteint sur les miennes. J'étais rapidement partit me réfugier dans mon bac à sable après l'avoir entendu crier qu'elle ne m'aimait plus. Moi, j'avais encore un pétale rouge collé sur ma nuque et mes cheveux humides quand je suis rentré à la maison. J'avais continué à regarder la fenêtre-télé jusqu'à la fin de l'été, sous ses regards de dangereuse chimère et la vue de ses lèvres rouges qui fondaient sur les lèvres des autres. J'étais complètement obsédé par sa peau, ses cheveux et ses yeux fixés sur moi.

Il y a beaucoup de couleurs dans mes souvenirs. Je pense qu'elles ont déteint au fil du temps. La voisine avait fini par disparaître entre les mains des choses que je ne sais pas. Maintenant c'est gris tous les jours, à part les images de ces grotesques pièces de théâtre qui continuent de jouer dans ma tête. Maman et papa me trouvent trop paresseux, pourtant je fais ce qu'ils attendent de moi. Je leur obéis sans vraiment porter attention, je suis robot enfermé dans un corps, je suis encore un peu emprisonné sous les crocs imaginaires de la voisine. J'aimerais m'arracher de cette étreinte étouffante, mais ma tête refuse de se soumettre à ce genre de torture. Je reste entre ses mains, les bras ballants, le regard vitreux, la bouche sèche. Je reste et j'attends en espérant qu'un jour elle revienne pour laisser ses lèvres fondre sur les miennes ou me laisse partir en paix.